Alors que les deux premiers volumes (
NDW : l'intégrale Dargaud est constituée de 10 volumes. Les deux premiers regroupent les Lucky Luke de l'ère pré-Goscinny.) nous ont permis de découvrir les premiers pas de Lucky Luke réalisés à cent pour cent par Morris puis "Des rails sur la prairie" les premiers balbutiements de sa collaboration avec René Goscinny pour le scénario, ce troisième album nous invite à pénétrer dans l'univers d'un Lucky Luke nouveau : celui d'un duo parfaitement rodé et qui ne cessera qu'avec la disparition de René Goscinny.
Morris avait planté le décor tout au long des premières histoires, à savoir un paysage de western parodique avec les bons et les méchants. Les uns étaient là pour gagner, les autres pour perdre sinon la vie tout au moins la liberté. Univers fait de villes aux maisons en planches minables, aux saloons le plus souvent mal fréquentés, de déserts où seuls survivent les vautours et les hors-la-loi. Parfois une caravane ou un chariot viennent se perdre dans ces paysages immuables. Avec l'arrivée de René Goscinny, la série va pouvoir multiplier ses décors. C'est ainsi que l'on découvre les villes de l'Est, les fermes, les métiers nouveaux engendrés par la conquête de l'Ouest (pétroliers, caravaniers, trappeurs...)

Une bande typique des aventures de Lucky Luke, celle de Joss Jamon
Les cinq histoires présentées dans cet album nous offrent trois exemples types de récits écrits par Goscinny pour les aventures de Lucky Luke :
- Le
pastiche drôlatique de la vie de personnages ayant vraiment existés à l'époque de la conquête de l'Ouest : Joss Jamon, chef de bande, à la fois imbécile et dangereux, et surtout le Juge Roy Bean qui inspira aussi les metteurs en scène.
- Les
scènes coutumières de la vie de l'Ouest comme "La Ruée sur l'Oklahoma" qui nous présente avec humour la conquête de terres vierges par les pionniers et leurs familles.
- Enfin, "Les Cousins Dalton" et "L'Evasion des Dalton" où l'on participe aux côtés du cow-boy qui tire plus vite que son ombre à l'
éternelle chasse aux terribles cousins Dalton. Désormais, les aventures de Lucky Luke iront alternativement de la découverte de nouveaux héros de l'Ouest (Billy the Kid, Calamity Jane, Empereur Smith...) à des scènes de la vie de l'Ouest ("A l'ombre des derricks", "Des barbelés sur la prairie", "La Ville fantôme", "Canyon apache"...) en passant par la poursuite aux Dalton qui parviennent toujours à s'enfuir de leur pénitencier.
Je vous invite à la lecture des épisodes publiés dans le présent volume afin de mieux comprendre la démarche des deux auteurs de la série qui ont toujours travaillé avec une grande liberté de part et d'autre.
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Lucky Luke contre Joss Jamon : Onzième aventure de Lucky Luke publiée pour la première fois par le journal Spirou en 1956/57 (numéros 966 à 989). Après une histoire réalisée seul ("Alerte aux pieds bleus"), Morris retrouve pour la seconde fois son scénariste René Goscinny qui venait de quitter les Etats-Unis pour la Belgique. Cette aventure conserve les structures des premiers albums avec la petite ville et le désert entre lesquels s'engage l'action, à savoir la lutte du héros contre la bande de Joss Jamon. Joss Jamon lui-même n'a rien à voir avec les bandits qu'affrontera plus tard notre cow-boy. C'est un petit truand comme il y en avait beaucoup qui écumaient les petites villes de l'Ouest et l'Histoire n'a pas même retenu son nom. Disons qu'il s'agit là d'un (bon) galop d'essai avant d'en arriver aux choses sérieuses. Déjà pourtant nous sentons que la série bouge : les personnages se multiplient, les villes se peuplent de nombreux personnages aux petits rôles, les gags s'étoffent, bref, la série mûrit au fil des planches. Il faut dire que l'histoire suivante marquera par l'arrivée des personnages qui ont le plus contribué au succès futur des aventures de Lucky Luke les Dalton.
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Les Cousins Dalton et
L'Evasion des Dalton : Ces deux albums sont les premiers d'une longue série qui n'est pas encore terminée relatant la chasse aux terribles cousins Dalton. Des Dalton plus méchants - les vrais - avaient déjà croisé la route de Lucky Luke et de Jolly Jumper au cours d'une aventure précédente écrite et mise en images par Morris "Hors-la-loi" publiée par Spirou en 1951/52. Hélas ! les terribles frères Dalton ayant connu le châtiment suprême, il n'était pas possible de les faire revivre et pourtant Morris et Goscinny sentaient qu'il y avait encore beaucoup à faire avec ces caricatures de méchants. C'est pourquoi un beau Jour de 1957, les lecteurs de Spirou ont eu la surprise de retrouver les inénarrables Dalton. Morris et Goscinny venaient tout simplement de découvrir - ou nous faisaient croire - que les frères Dalton avaient quatre cousins bien décidés à tout faire pour venger leur honneur et avant tout mettre un terme à la vie de leur plus cruel ennemi : Lucky Luke. C'est ainsi que par ordre de taille et de gentillesse - le plus petit étant le plus méchant - Joé, William, Jack et Averell Dalton se sont enfuis une bonne douzaine de fois de leur pénitencier pour notre plus grand plaisir et ce n'est pas terminé. Afin de donner plus de sel à l'histoire, un nouveau compère rejoindra les quatre voyous, le chien Ran Tan Plan, qui se signale par une bêtise au moins aussi grande que celle de ses prisonniers. Mais ceci est une autre histoire, pour l'instant les Dalton s'évadent pour la première fois et croyez-moi ces gaillards-là n'engendrent pas la mélancolie.
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Le Juge : Première grande histoire typique des interprétations très libres de biographies de personnages ayant véritablement existés. Roy Bean tenait un saloon-tribunal dans une petite ville du Texas, Langtry, quelque part à l'ouest du Pecos. Saloon que peuvent encore visiter les touristes qui osent se risquer dans cette région où plane encore l'ombre du terrible Roy Bean. Sa justice tout à fait personnelle n'avait rien à voir avec la loi qui timidement faisait son apparition dans l'Ouest. Roy Bean voulait avant tout gagner de l'argent sur le dos de pauvres bougres et allait même parfois jusqu'à faire pendre le prévenu. Devenu véritable héros du folklore américain Roy Bean était le personnage idéal à mettre "entre les sabots" de Jolly Jumper. En lisant cette histoire, vous rirez certainement beaucoup, mais n'oubliez pas que vous tournez aussi une page de l'histoire des Etats-Unis. Avouez que c'est plus drôle que dans vos livres d'Histoire.
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Ruée sur l'Oklahoma : Cinquième récit de cet album qui nous permet de participer à la course à la terre comme si nous y étions, en somme une nouvelle page d'histoire. Des terres nouvelles sont offertes aux colons. Afin de ne pas favoriser les uns plus que les autres, tous les chariots partent sur la même ligne. Hélas ! les tricheurs ne manquent pas et Lucky Luke va avoir fort à faire pour éviter les fraudes. Une aventure trépidante, truffée de situations loufoques, qui est aussi un hommage à ces colons qui partaient à la découverte d'horizons nouveaux avec femmes et enfants, ne laissant rien derrière eux. "Ruée sur l'Oklahoma" comme l'autres aventures de Lucky Luke publiées par la suite es exemple de récits où se mêlent l'humour, la fiction et l'histoire. Un cocktail très difficile à réussir en bande dessinée qui demeure une spécialité du duo Goscinny-Morris.
Notons également l'évolution graphique très nette entre la première aventure contre Joss Jamon et le second volet de la lutte contre les Dalton. Lucky Luke a pris de l'épaisseur, il est plus souple et paraît plus drôle. Lorsque Morris écrivait ses propres histoires, il devait à la fois penser au graphisme et aux gags sans pour autant oublier l'histoire. Avec Goscinny la démarche est différente, c'est lui qui prend possession à cent pour cent de l'histoire. Les gags sont plus nombreux et de semi-réaliste la série devient peu à peu comique. D'ailleurs, au fil des histoires, Lucky Luke voit l'humour croître notamment avec Jolly Jumper qui se met à parler le langage des hommes. Morris, pour sa part, libéré du problème du scénario, peut se consacrer tout entier au dessin, ce qui lui permet de mieux penser sa mise en pages. Peut-être même ajoute-il quelques gags visuels qu'un trop gros travail lui faisait négliger.
Mais ces cinq aventures, bien que très caractéristiques de l'oeuvre de Goscinny et Morris, ne sont qu'une faible partie qu'une série qui a toujours tenté de se dépasser et le talent c'est ça.